Les Grandes Compagnies



Au XIV° siècle,il n'existait pas d'armées permanentes. Les vassaux de la couronne de France devaient le service militaire en temps de guerre, mais ils ne le devaient que pendant quarante jours, au bout desquels ils pouvaient retourner dans leurs foyers. C'est pourquoi on levait un grand nombre de mercenaires qui n'avaient d'autre métier que celui de porter les armes. On les licenciait après la guerre, et alors ils cherchaient un nouveau maître et s'ils ne le trouvaient pas, ils vivaient aux dépens du peuple qu'ils pillaient pour subsister. Par ailleurs les gentilshommes élevaient leurs enfants pour le métier des armes, et ceux-ci, quand ils n'avaient plus à se battre, étaient désoeuvrés, ne savaient que faire et se trouvaient réduits à une inaction qui leur paraissait difficile à supporter.

La paix de Brétigny survenue le 8 mai 1360,eut donc pour résultat de laisser inoccupée une masse considérable de soudards sans ressources et en général peu scrupuleux sur les moyens de s'en procurer. Edouard IV ayant vainement tenté de dissoudre ces bandes, elles devinrent sujet de préoccupation de Charles V. C'est là que Bertrand du Guesclin, récemment libéré contre rançon, proposa au roi d'en prendre la tête pour les conduire en Espagne contre les Sarrazins. Sa proposition acceptée, il manda un messager aux chefs des compagnies stationnées aux environs de Chalon sur Saône afin d'obtenir un sauf-conduit. Cuvelier rapporte :


"Bertran du Guesclin ne s'i volt arrester
Son héraut appela, si l'i dit haut et cler
"Va t'en, dit-il, bien tost et pense de l'aler
En la grande compaignie, et si va demander
Trestous les cappitaines, et feras assambler,
Un sauf-conduit pour moi lor iras demander
Car j'ai trop grant désir qu'à eux puisse parler
Celui a respondu : "Ce fait à créanter"
Sur le cheval monta et pense de l'aler
Vers Chalon sur Sone ala ces gens trouver..."






le connétable Du GUESCLIN
d'après un ancien tableau du Musée de Versailles


Les principaux chefs : Huon de Cavrelay, Mathieu de Gournay, Nicholas Esquabourne, Robert Scot, Gauthier Huet, ayant accordé l'autorisation, Bertrand du Guesclin fit le discours suivant (extraits) :



"Seigneur ce dit Bertran, veillez moi escouter ;
Pour coi je suis venu, je vous veil recorder.
Si vien de par le roy qui France doit garder,
Qui voldrai volontiers pour son pueple sauver
Faire tant devers vous, je le vous dis au cler,
Qu'avec moi vénissiez où je voldroie porter.
Et je vous ai souvent et le vous veil jurer
Que j'ai grand volonté de Sarrazins grever
Avec le roi de Chippre, que Dieux veille garder ;
Ou aler en Grenade pour Sarrazins grever
Parmi Espaigne irons, trop le puis désirer
[.../...]
En Espaigne porrons largèment profiter ;
Car li pais est bons pour vitaille mener,
Et si a de bons vins qui sont frians et clers."
[.../...]
"Seigneur, a dit Bertran, soiez-moi escouteurs ;
Je m'en irai parler au riche roi des Frans
Car bailler vous ferai des deux mille frans
Et si venez dîner, telz est mon essians
A Paris delez moi, je le sui désirans."



A l'issue de cette entrevue, Huon de Cavrelay ordonna que l'on apportât du vin pour en offrir à du Guesclin et Gauthier Huet vint le lui verser ; mais celui-ci voulut qu'Huet but le premier ; mais tous les chevaliers présents refusèrent l'honneur de boire avant lui. Bertrand du Guesclin ayant passé le test de sincérité, vingt cinq capitaines se rallièrent à sa cause.

Le poème, ainsi que les pré-textes "Jacques les Andelys, chronique de l'an 1364" et "Jacques les Andelys - Scènes de bandouliers", publiés respectivement le 1er mai 1828 dans le Provincial et le 9 octobre 1831 dans "le cabinet de lecture", sont inspirés de cet épisode historique. Ces trois moutures successives illustrent l'évolution de Louis vers une écriture toute d'ellipses et de concision.



Sources :
"Les grands hommes de la France - Hommes de guerre" - Ed. Goepp - 1878
"Chronique de Bertrand Du Guesclin" par Cuvelier, trouvère du XIV° siècle -1839 -Firmin Didot.

Voir la page intitulée " les Grandes Compagnies et pré-textes".